Le Falcon débarque, certes, et l'image d'Atari renoue enfin avec celle
de bon vieux temps: une firme à contre-courant, mais aux machines hors du
commun. Mais, voici à peine quelques mois, les ataristes étaient plutôt
moroses. Des ventes en stagnation, une machine vieillissante, ne pouvait guère
engendrer l'euphorie. En fait, le monde entier semblait snober Atari, sauf
quelques artistes et bidouilleurs... parmi lesquels il y a Dave. Or, devant
l'apparent immobilisme d'Atari, Dave lui-même a connu des moments de doute, au
point de visiter (horresco referens) des magasins de PC! Oui, vous avez bien lu!
De cette visite aux enfers, Dave sortira-t-il indemne? Les méchants vendeurs
réussiront-ils à lui laver le cerveau et à lui fourguer un compilateur Pascal?
Insoutenable suspense...
En ce moment, mon fils Jamers fait de son mieux pour me déconcentrer en hurlant
à ma femme Sandy "Veut bibon!... VEUT BIBON!..." Traduction: "très chère mère,
il me serait fort agréable que vous me procuriez un biberon." (De plus, Jamers
croit que répéter quelque chose avec force lui donne plus d'importance).
Mais voilà. Jamers (trois ans) a un rhume et se sent vaseux, et hélas, un
"bibon" ne lui fera aucun bien. Mais il n'en a cure: depuis des temps
immémoriaux pour lui (plusieurs mois), il a l'habitude d'aller au lit après un
biberon réconfortant, et il veut ce réconfort.
Ce qui nous amène à comparer Jamers à l'utilisateur moyen d'ordinateur Atari (ou
de tout autre marque d'ailleurs). Cet utilisateur a acheté une machine quelque
peu marginale et veut être conforté dans l'idée que c'est un bon achat. Cela
n'est nullement indispensable, et ne lui apportera aucune aide, tout comme le
"bibon" pour soigner un rhume. Mais psychologiquement, l'enfant et l'utilisateur
recherchent tous deux une sensation rassurante, chaude et confortable.
Car pendant des années, les utilisateurs ont été bombardés de propagande
affirmant qu'il leur fallait le meilleur et le plus rapide des ordinateurs. Ce
qui est un but à jamais inaccessible, d'ailleurs, puisque la situation change
tous les six mois environ et qu'il y aura toujours plus récent. (Tenez, le
portable sur lequel j'écris ceci était considéré comme excellent lorsque Sandy
me l'a offert, mais à présent, il y a beaucoup mieux.) Et malheureusement, cette
propagande est orientée vers les Mac et les PC, pas vers les Atari. Quand ces
utilisateurs ouvrent un magazine "généraliste" d'informatique, ils sont inondés
de pubs pour des 486 à 33 MHz, des 386 à 40 MHz, des pré-annonces du processeur
P5 (le futur 586) et Dieu sait quoi encore. Il y a des wagons de magazines PC,
offrant aussi bien des conseils aux débutants que des cours de programmation en
assembleur et en C. (Ce qui est d'ailleurs préférable: vu la nature de
l'assembleur du PC, le C est un meilleur langage. Et vous savez en quelle estime
je tiens le C.) Les librairies techniques regorgent de livres expliquant le
maniement des interfaces utilisateur du PC (il faut bien ça, elles sont
remarquablement mauvaises) et celui de centaines de logiciels pour PC (Microsoft
affirme réaliser le quart de ses ventes en livres!)
En comparaison, il n'y a guère de périodiques sur le ST, et peu de livres. Ce
n'est certes pas le désert, mais on a la sensation d'être à l'écart du marché.
Et cela provoque un profond malaise chez les utilisateurs d'Atari, car on leur
tend un biberon rempli d'un indigeste lait au PC (du lait bleu, pouah!). Or ils
voudraient bien qu'on les réconforte et qu'on leur dise que leur machine est
encore belle et bonne. Hélas, Atari est resté longtemps sans sortir de nouvelles
machine, et les signes décourageants se sont multipliés. Computer Shopper, revue
américaine pour acheteurs de micro-informatique exigeants, a par exemple
abandonné sa section sur l'Atari ST, l'une des seules dans la presse
généraliste. Je ne dis pas cela pour démoraliser les ataristes, je trouve au
contraire naturel de rechercher l'approbation de ses semblables.
Et, n'obtenant pas ce qu'ils veulent, les utilisateurs d'Atari se sont mis à
vociférer, à l'instar de Jamers. Je ne voudrais pas être à la place des gens
chez Atari qui ouvrent le courrier, où l'on trouve dans le meilleur des cas des
suggestions et des plaintes. (Le courrier de Gadgets By Small menace déjà de me
noyer.) Sans compter que l'abondance de lait au PC a tendance à décourager les
développeurs sur Atari. Lorsqu'on vous fait ingurgiter quotidiennement un régime
de Windows-sur-486-c'est-génial, il devient dur de conserver un intérêt pour le
ST. Et quand on apprend que Windows a vendu 3 millions d'exemplaires de Windows,
il est dur de ne pas vouloir prendre le train en marche (de fait, beaucoup de
développeurs ont déjà sauté dans un wagon).
Un chose que les utilisateurs d'Atari voudraient bien voir, par exemple, c'est
de la publicité [NdT: aux USA, le coût de la pub et son peu
de résultat face aux Américains saturés explique pourquoi Atari préfère ne pas
en faire, sauf très occasionnellement]. Pourquoi? En partie pour se voir
confirmer qu'Atari est toujours dans la course, mais aussi pour pouvoir affirmer
aux copains qu'on a acheté une machine qui n'est ni un Mac, ni un PC, et qu'on
en est ravi, et que d'abord, Atari est une grande compagnie, regardez leur
pubs... Je soupçonne que la raison pour laquelle tant de possesseurs de ST, qui
ne sont donc plus à convaincre, voudraient voir de la pub pour Atari à la
télévision, et qu'ils veulent que leurs amis cessent de leur dire "ah oui, la
machine de jeux" quand on leur parle d'Atari. Il n'y a là de la part d'Atari un
manque de support psychologique, ainsi qu'un manque d'attrait face aux charmes
insidieux déployés par les magazines américains pour Mac et pour PC. De même que
Jamers tentera d'obtenir un boberon auprès de moi si sa mère ne lui en donne
pas, les utilisateurs d'Atari, mûs par un même besoin désespérés d'être
rassurés, essaieront d'obtenir quelques consolations auprès des Mac et des PC.
A tel point que j'en suis moi-même victime. La propagande en faveur des Mac et
des PC, idéologie dominante de la micro, se fait si insidieuse (elle est
probablement subliminale) que je suis parfois tenté, je l'avoue, d'aller voir ce
qui se passe dans ce domaine. Et je fais alors une vérification de réalité.
Je sais que c'est idiot, mais périodiquement, je gaspille mon temps à lire des
magazines pour Mac et PC. Attention, je sais parfaitement ce que valent
certains: au moins deux importants magazines américains, par exemple, proposent
aux éditeurs d'acheter un banc d'essai flatteur de leur dernier produit! Et un
autre ne publie rien d'autre que les communiqués de presse des companies, façon
Pravda (qui, je le rappelle, signifie "vérité"). N'empêche que mon jugement se
trouve diminué par ce véritable lavage de cerveau
C'est ainsi que tous les six mois à peu près, je l'avoue, je tombe dans le piège
des sirènes qui chantent dans tous ces journaux, et je m'en vais "regarder" les
PC et les Mac. Mais rassurez-vous: à la fin de la journée, je suis de nouveau
convaincu que rien ne vaut le monde Atari. Car en un jour, je vois un incroyable
amoncellement de matériels et de logiciels incompatibles, et nombre de vendeurs
ineptes! (Le plus nul techniquement d'entre eux fût également le plus gentil, il
me confia qu'il venait juste de quitter un emploi de vendeur de résidences de
vacances.) Je vous recommande cette expérience de tournée des boutiques
informatiques pour réaliser les avantages de nos machines Atari, et pour
relativiser les problèmes de la marque.
La première chose que font les vendeurs dans ces boutiques est de jauger votre
fortune d'après vos vêtements. Avez-vous l'allure d'un acheteur de système haut
de gamme? Moi, je n'ai sans doute pas l'air d'un gros client avec mon jean et
mon T-shirt de "Soldier of Fortune" [NdT: "Soldier of
Fortune" (mercenaire), magazine pour baroudeurs et amateurs d'armes, très
conservateur, vend des T- shirts dont raffolent les anti-conformistes car ils
cultivent l'art de la provocation, du genre "Paix... grâce à une puissance de
feu supérieure" ou "Quand tu veux, Khadafi!". S'adresser au journal pour les
commandes.]
Il me faut donc commencer par secouer un peu les vendeurs en leur lançant des
mots de jargon technique comme autant de missiles SCUD, et en m'extasiant sur le
confort qu'on éprouve le samedi à sortir sans costard-cravate, loin du bureau.
Mon boulot? "Nous faisons des cartes accélératrices pour PC" (presque exact).
Mon ordinateur? "Oh, nous utilisons des Mac II FX en réseau avec une LaserWriter
NTX." Ils pâlissent un peu et m'éloignent du rayon des clones 286 jetables pour
me guider vers celui des 486 musclés.
"Et vous ai-je présenté ma femme Sandy? (qu'ils ont jusqu'alors soigneusement
ignoré). C'est la présidente de notre compagnie, et elle gère tout le marketing
et les achats de machines. Elle est diplômée en informatique." A ce stade, les
vendeurs en sont presque à faire pipi dans leur chaussures. Inutile de dire
qu'ils essaient de rattraper le temps perdu avec Sandy. Laquelle leur lance son
fameux Regard Enigmatique.
Ils m'amènent alors devant une boîte monstrueuse qui pourrait servir d'abri
anti-atomique à un 520 ST, et l'allument. Les lumières faiblissent, le
ventilateur me décoiffe. Une bonne année plus tard, l'écran s'illumine enfin, et
affiche un monceau d'incohérences sur des CONFIG.SYS et autres AUTOEXEC.BAT. Je
me prépare au choc, ça y est, la voilà, "C:>", ô exaltante invite!
Eh oui, me voici revenu quinze ans en arrière, à l'époque où le CP/M me lançait
son "A:". C'est beau, le progrès. Cela me fait penser à un certain H. G. Wells.
La seule analogie qui me vienne à l'esprit pour qualifier ce gâchis, est un V-8
monté sur un patin à roulettes. Bien sûr, c'est très rapide, mais l'utilisateur
subit toujours la même ligne de commande grossière et peu ragoûtante. Et qu'on
me dise à quoi sert une commande DIR qui fait s'afficher une liste de fichiers
défilant si vite à l'écran qu'on ne peut en voir que la fin.
Et peut-on imaginer qu'au lieu de cliquer sur un dossier avec une souris, je
dois taper le nom complet de ce sous-répertoire? Je ne peux pas traîner un
fichier avec la souris, il faut que je me préoccupe de "chemins" et autres
fadaises! Et quand je fais une faute de frappe, ce qui m'arrive souvent, je dois
retaper en entier cette stupide ligne! Mais nous sommes retournés à l'âge de
pierre! Où sont les cartes perforées, les bandes magnétiques, les tableaux de
lampes clignotantes? Où sont passés Robby le robot et les IBM 360? J'ai subi
toutes ces nuisances au collège et je ne regrette vraiment pas leur disparition.
Quant à copier un groupe de dossiers, c'est un exercice de pur masochisme. Pour
y parvenir, il me faut une demi-heure, un éditeur de texte sophistiqué avec
macro-commandes, la redirection des entrées-sorties et quelques tours de passe-
passe. Sur ST, bien sûr, il me suffit de sélecter les dossiers à copier avec
shift + clic et de les traîner. Et ne me parlez pas de XCOPY: il ne vérifie pas
la copie, même si on lui met l'option qui est censée le lui ordonner. J'en ai
fait la triste expérience, et j'ai passé une journée à chercher quels fichiers
XCOPY avait vérolés.
J'affirme que le roi est nu!
A ce point, les vendeurs lancent fièrement Windows. Ils espèrent que je vais
m'extasier, sans doute parce que je l'ai vu remplir l'écran avec une couleur de
fond sans se planter. Hélas, j'utilise quelque chose de bien supérieur depuis
1985, et il m'en faut plus pour m'épater. Windows m'apparaît être une version
revue et corrigée par un service de marketing, c'est à dire une mauvaise
version.
Loi de Small n°8: aucun bon programme n'est jamais sorti d'une étude de marché,
sinon par accident. Demandez donc à quelqu'un qui travaillait chez Atari avant
l'arrivée de Tramiel. Et essayez le jeu Pacman sur VCS (!!!).
Loi de Small n°7: les meilleurs logiciels sont des oeuvres d'art amoureusement
fignolées, généralement par un à deux programmeurs au maximum.
Windows procure l'inimitable sensation de marcher dans de la boue, qui colle aux
chaussures et qui leste chaque pied de 10 kilos. La moindre manip dure une
éternité. Il faut fouiller dans des menus rien que pour copier des fichiers. Le
pire est que Windows a des réactions lentes. Or, un débutant en marketing
informatique vous dirait qu'il est très important qu'un logiciel ait une grande
vitesse apparente de réaction. S'il ne tenait qu'à moi, je m'attellerais à la
réécriture en pur assembleur de certaines parties de Windows... Je connais bien
le genre de code que fait Microsoft, je l'ai débogué bien des fois sur Mac.
(Message personnel pour Darek Michocka, développeur de GEMulator: tu n'es pas
mauvais en assembleur, n'est-ce pas? Alors, je t'en prie, viens en aide aux 3
millions de possesseurs de Windows et optimise-le. GEMulator est une idée
intéressante, mais ces malheureux ont besoin d'aide, ils vont prendre racine
devant leurs PC.)
Je cuisine ensuite les vendeurs quant au disque dur de ce super-PC. Est-il à la
norme SCSI, propre et net? Non, au format IDE ou ST-506. Ouais, génial
(hummphf). Puis-je en mettre un plus grand? Puis-je mettre plus de deux disques
durs dans le PC? Ils n'en savent rien, et je n'en sais toujours rien d'ailleurs.
Lecteurs, si vous avez la réponse, contactez-moi! Il me semble qu'il faudrait
une deuxième carte d'interface de disque, et les interruptions entreraient alors
en conflit. Si vous savez, n'hésitez pas, mes adresses sont en fin d'article.
Comparez cela à votre ST, sur lequel seuls quelques disques particulièrement
exotiques ne peuvent se brancher sur l'unité centrale moyennant un tournevis,
quelques minutes et le logiciel de formatage d'ICD. En ce qui me concerne,
j'ai... voyons... six disques pour le développement de la carte SST et de
Spectre, partitionnés en aires de développement et de test. Leur sauvegarde est
d'ailleurs cauchemardesque.
De plus, les disques durs du PC sont une source d'amusement et de profit, si si.
Mon copain Alex Pournelle gagne sa vie à récupérer des données sur des disques
durs endommagés. Il peut remplacer les yeux fermés le circuit intégré qui grille
le plus souvent sur les disques Seagate (le circuit de commande du moteur pas-à-
pas).
Il y a quelques mois, j'ai passé trois nuits, de 21h à 3h du matin, à récupérer
des données médicales cruciales sur le disque dur du PC de mon frère, qui est
médecin. Ce fût épouvantable. Apparemment, ce stupide contrôleur de disque dur
stocke quelque part les caractéristiques, comme son nombre de pistes, et je n'ai
pas réussi à trouver où! Et croyez-moi, j'ai essayé. Et le contrôleur
m'interdisait d'accéder au-delà d'un certain point (les données à récupérer
étant bien sûr dans la zone interdite). Oui, je connais les RAM statiques CMOS
non volatiles des PC-AT ainsi que les logiciels de configuration, mais cela n'a
pas marché: ce clone là était incompatible. D'ailleurs, c'était un clone de PC-
XT.
Cela représente parfaitement à mes yeux la philosophie du PC: "nous savons mieux
que vous ce qu'il vous faut". Le contrôleur refusait de me laisser accéder aux
données parce qu'il savait, et impossible de l'en faire démordre. D'ordinaire,
je flingue les disques qui sont aussi bornés (j'ai pour cet usage un AK-47 et un
M-16, je vous raconterai ça un de ces jours).
Vous savez ce que j'ai dû faire pour résoudre ce problème? J'ai dû lancer un
formatage du disque, le laisser tourner sur les vingt premières pistes à peu
près, et éteindre le PC. Ceci a eu pour effet de réécrire les tables de
paramètres du disque et de me laisser enfin accéder aux données brutes. Il m'a
ensuite fallu copier les données secteur par secteur (elle étaient Dieu merci,
sur des secteurs contigus) sur un autre disque, puis sur disquette, en utilisant
les Norton Utilities en mode "Niveau expert de Monsieur Spock - vous assumez
toutes les responsabilités". Enfin, j'ai détruit les données inutiles sur les
derniers secteurs. Il m'a fallu aller explorer les tables d'allocation de
fichiers, ce qui n'est pas drôle, et c'est pourquoi cela m'a pris tant de temps.
Mais j'ai tout récupéré.
Je sais parfaitement que couper le courant au beau milieu d'un formatage glace
le sang à quiconque connaît les disques durs. Mais c'est vraiment la seule
astuce qui me restait, j'avais littéralement vidé mon sac à malices. J'avais par
exemple connecté un second disque au contrôleur, l'avais formaté, puis avait
interverti les câbles reliant le contrôleur aux disques pour tenter de tromper
ce circuit stupide. J'avais même écrit des programmes pour aller directement
modifier les paramètres dans les registres du contrôleur. Tout cela en vain.
Machine stupide et bornée!
Sur ST, l'utilitaire SUPEDIT de Supra m'aurait arrangé ce problème en un clin
d'oeil. Je crois d'ailleurs ce programme indispensable à tout possesseur de
disque dur. Il figure en bonne place dans ma trousse de survie spéciale pour
salons informatiques, et c'est l'utilitaire dont je me sers le plus. Très
chaudement recommandé!
J'arrête pour ce mois-ci, mais j'accueille déjà volontiers vos réactions.
Traduction et adaptation : Password 90 Je tiens à remercier
BIBERONS POUR ATARISTES
LECHE-VITRINES
IGOR, ABAISSE LE LEVIER!
WINDOWS
DURS, LES DISQUES
RECUPERATION DE DONNEES
Titre original : Rationality
jgd@gmx.fr
de m'avoir spontanément scanné
cet article. Je remercie également un inconnu dont j'ai oublié le nom qui
fourni le même travail que j'ai perdu 5 ans plus tôt.